“في جحيم حرض” ريبورتاج فكرة وتصوير الفوتوغرافي جميل سبيع وكتبه الكاتب الفرنسي صاموئيل فوري ونشر في صحيفة “باريس ماتش” الفرنسية.

 

YÉMEN

DANS L’ENFER DE HARADH

Dans l'enfer de Haradh
Un migrant à la frontière saoudienne. Il attend le moment propice et guette le meilleur endroit pour passer. En évitant les balles.© Jamel Subay
Le 18 juin 2013 | Mise à jour le 18 juin 2013
SAMUEL FOREY

C’est une zone perdue du Yémen où se concentrent tous les trafics. Ces temps-ci, les réfugiés africains, adultes ou enfants kidnappés, sont devenus une monnaie d’échange. Haradh, 115 000 habitants, compte près de 90 000 déplacés qui rêvent d’aller gagner leur vie en Arabie saoudite. Et quand ce n’est pas des êtres humains qu’on négocie, ce sont des armes ou de la drogue. Un cauchemar qui n’en finit pas.

La Tihama, c’est cette large plaine côtière qui borde la mer Rouge, de l’Arabie saoudite au sud du Yémen. Des milliers de kilomètres carrés de chaleur, de moiteur et de poussière, sous un voile blanc aveuglant comme cent soleils. Et il y a cette -pesanteur écrasante – comme si, dans la Tihama, on pesait plus lourd qu’ailleurs.

Haradh est en pleine Tihama. C’est à peine une ville. Plutôt une immense route, bordée par un agglomérat de vagues immeubles plus poussiéreux que la poussière elle-même, avec, à leur pied, des cahutes de tôle et de parpaing. Là où vivent les plus pauvres habitants de Haradh, dans la région la plus pauvre du pays le plus pauvre du monde arabe.

Haradh Yémen
Les migrants dorment dehors dans des terrains vagues.© Jamel Subay

Cette nuit-là, des dizaines de migrants dorment à même le sol dans un terrain vague. Dans le noir, on les distingue à peine. Un peu de vent donne une illusion de fraîcheur. Ils tiennent leurs sacs plastiques serrés contre eux – leur seule fortune. Ils viennent en majorité de la Corne de l’Afrique, Somalie et Ethiopie.

Le jour se lève. Un à un ils se redressent, s’étirent et, presque dans un même mouvement, par petits groupes formés au hasard de leurs épreuves, se mettent en marche, sans parler, silhouettes étiques dans le silence.

LE YÉMEN EST UN PAYS DE TRANSIT OÙ LES RÉFUGIÉS SE RETROUVENT PRIS AU PIÈGE

Il y a toujours eu des réfugiés africains au Yémen. C’est le passage idéal vers l’Arabie et, plus loin, l’Asie. Il n’y a qu’un bras de mer à franchir – le détroit de Bab al-Mandab, « la porte des Lamentations ». Dans le sud et l’ouest du pays, les peaux sont plus foncées. Les mélanges, au fil des siècles, ont été nombreux.

Pour Teresa Zakaria, de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), « le flot de migrants a considérablement augmenté depuis 2009 ». Avant, c’étaient des Somaliens qui fuyaient la guerre. Aujourd’hui, ce sont des Ethiopiens qui fuient la misère. Sans argent ni contacts, ils arrivent au Yémen dans un seul but : passer en Arabie saoudite ou trouver un chemin vers les Emirats. Les légendes circulent à toute vitesse : dans ces eldorados, ils pourraient gagner plus en un mois qu’en un an. Le succès de quelques-uns de retour en Ethiopie suffit à attiser l’envie. Et, surtout, la propagande des passeurs, qui font miroiter des emplois de vendeurs de fruits et légumes, des jobs d’hommes à tout faire ou de femmes de ménage pour de richissimes Saoudiens.

Le Yémen n’est qu’un pays de transit vers ces paradis. Mais les réfugiés s’y retrouvent pris au piège. Ils arrivent par dizaines de milliers. Un mouvement migratoire sans précédent dans l’histoire récente du pays, selon les organisations internationales : 50 000 clandestins étaient arrivés sur les côtes du Yémen en 2010. En 2011, ils ont été 100 000. En 2012, même chiffre. Soit 250 000 personnes en trois ans, 1 % de la population du Yémen.

Ce sont eux, ces silhouettes étiques. Les migrants ont une vingtaine de kilomètres à faire de Haradh à la frontière. Dès leur arrivée dans la péninsule arabique, ils sont exploités par tout un système qui profite du chaos généralisé dans le pays.

 C’EST UNE VASTE, UNE IMMENSE PRISE D’OTAGES

Paradoxalement, c’est grâce à la situation sécuritaire catastrophique du Yémen que les migrants arrivent en masse. Moins de contrôles, moins de problèmes, il est tout simplement devenu plus facile d’y entrer. Et le voyage est de moins en moins dangereux, selon un récent rapport de l’ONG Regional Mixed Migration Secretariat (RMMS). Même si la plupart de ces miséreux prennent la route la plus longue, du port de Bosaso, dans le nord de la Somalie, au sud du Yémen – trois jours dans les tempêtes de la mer Rouge –, les noyades sont moins fréquentes.

Le système dans lequel ces malheureux sont pris au piège est simple : c’est une vaste, une immense prise d’otages. Contre la promesse d’un passage en Arabie saoudite ou d’une libération, les trafiquants les font payer, eux ou leurs familles. L’excellente force de travail des Ethiopiens les intéresse à peine ; il n’y a pas de travail à donner au Yémen. Seul l’argent compte, par virements bancaires. Eventuellement, les femmes peuvent payer de leur corps. « Les migrants sont devenus une marchandise. Ils viennent si nombreux que leur valeur en tant qu’êtres humains baisse tandis que leur valeur marchande augmente. Les trafiquants ne font plus dans les détails. S’ils tentent de fuir, ils sont tués », explique Teresa Zakaria de l’OIM.

Yémen 3
La route entre Haradh et la frontière saoudienne : brûlante, poussiéreuse, irrespirable.© Jamel Subay

Les « Africains », comme les appellent les Yéménites, sont repérés lors de leur départ en bateau et kidnappés quand ils échouent sur les côtes du pays. Chacun vaut entre 200 et 300 dollars – enfin, valait, car les prix montent. « Les rapts sont plus fréquents et nombreux. Les trafiquants réclament maintenant entre 800 et 1 000 dollars », estime Chris Horwood, coordinateur pour RMMS. Rien qu’en mars dernier, près de 150 bateaux sont arrivés, chacun chargé en moyenne de 80 migrants. Soit 12 000 personnes. Cela représente un marché qui s’évalue en millions de dollars.

LES TRAFIQUANTS TABASSENT, BRISENT LES OS, FOUETTENT, SÉQUESTRENT, ENCHAÎNENT, BRÛLENT

Les tortures physiques et morales font partie intégrante du système qui les exploite. « Ce qui se passe ici, c’est la combinaison de trois vices : la contrebande, le trafic et l’extorsion avec les kidnappings, un cocktail explosif de criminalité jamais vu au Yémen ou dans la Corne de l’Afrique », explique Chris Horwood. Les trafiquants, pour faire chanter les familles restées sur le continent africain, tabassent, brisent les os, fouettent, séquestrent, enchaînent, brûlent. « Ils appellent les familles des otages et leur font écouter les tortures à l’autre bout de la ligne », poursuit le coordinateur. Le sort des rares femmes qui tentent la traversée est pire encore. Elles seraient systématiquement violées. Beaucoup disparaissent. Elles sont parfois séparées des autres dès leur arrivée sur les côtes yéménites. De nombreux témoignages recueillis auprès des réfugiés attestent qu’on ne les revoit pas. « On ne peut qu’imaginer ce qui leur arrive », considère Chris Horwood. Difficilement imaginable, à vrai dire.

Aujourd’hui, tout passe par les téléphones portables. La négociation des rançons et leur versement aussi. Les migrants sont ensuite relâchés dans la nature. Leur errance commence. Sans moyens, sans contacts, sans but autre que rejoindre l’eldorado saoudien, ils marchent vers le nord, proies potentielles pour d’autres trafiquants. Quatre cents kilomètres jusqu’à la frontière. Les plus chanceux travaillent en chemin dans les champs de qat – l’or vert des pays de la mer Rouge, une plante euphorisante dont les Yéménites sont fous.

Le soir, les trafiquants passent à la caisse. Chez Ibn Saad, par exemple. Il héberge, dans sa maison criblée d’éclats de balles, la banque des trafiquants de Haradh. Son fils, Bassem, offre du qat, le meilleur de la ville. Son « mafraj » – le salon où l’on reçoit les invités au Yémen – est particulièrement luxueux. Marbre, coussins profonds. Chez Ibn Saad, la banque des trafiquants, on ne connaît personne qui fait du trafic d’enfants. Sourires hypocrites…

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